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Pour ou contre le Franc-CFA ?

Le simple fait de poser cette question suffit à échauffer les différents protagonistes qui se disputent sur le sujet depuis des décennies. D’un côté les protagonistes d’une Afrique libre économiquement et de l’autre côté des économistes sponsorisés par leurs hierarchies et tout un tas de belles personnes qui mettent en avant la dangerosité que pourrait avoir un tel mécanisme s’il n’était pas au préalable pensé et acté.

En effet selon qu’on soit d’accord avec l’un ou l’autre il est important de rappeler que ce débat est aussi vieux que la construction africaine. Notamment via l’organisme qui porte le nom de Union Africaine abrégé UA. D’un côté on avait ceux qui pensaient que la construction africaine devrait se poursuivre avec l’aide totale et entière de l’occident comme le prônait notamment l’ancien président de la Côte d’Ivoire Félix Houphouët-Boigny via une expression restée dès lors populaire et contrariée : « France-Afrique ». À cette vision s’opposait par exemple celle du ghanéen Kwame Nkrumah d’inspiration marxiste qui défendait une construction africaine indépendante et libre de toute implication occidentale. L’histoire étant hélas à l’époque déjà cruelle, les indépendantistes minoritaires ne purent pas rendre majoritaire leurs idées et les prémices de la construction africaine furent dominées par ceux-là même qui avaient choisis de « rester liés » aux colons.

Il est donc crucial de faire ce petit rappel historique car toute décision prise par la suite par cet organisme ne peut être dissociée des faits marquants de sa création. Rajoutons ensuite que la période correspond aux années 60, période des indépendances et de la présidence du général Charles de Gaulle en France qui ne voyait pas d’un bon oeil l’indépendance de ses colonies. Car elle signifierait la perte partielle ou totale de la mainmise de son pays sur les décisions stratégiques à venir.

C’est ainsi que malgré le désir de la continuité coloniale de la France, certains pays à l’instar du Cameroun durent se battre très violemment pour l’obtention de leur indépendance. Pays dont la partie française ne fût rattachée officiellement aux colonies françaises qu’après la promulgation de la constitution française du 27 octobre 1946. La lutte pour l’indépendance fut une période très marquée et aujourd’hui encore, son évocation au sein de la classe politique camerounaise et dans l’imaginaire populaire reste très sensible malgré les efforts engagés des deux parties pour faire table rase et travailler dans l’amélioration des relations diplomatiques.

Après avoir fait cette petite mise au point essayons maintenant d’analyser la question dans son ensemble et sa complexité. Mais précisons rapidement que :

« le désir de chaque pays d’avoir et de gérer sa monnaie est légitime et fait partie de ses prérogatives. Un pays qui gère sa monnaie peut à tout moment la dévaluer ou la réévaluer selon ses besoins afin d’apporter une solution durable et contrôlée à sa politique économique. Le pouvoir de battre-monnaie a toujours été du ressort de l’état de la même manière que les politiques d’immigration permettent de contrôler le flux migratoire à l’intérieur des frontières. »

Il ne s’agit donc pas du tout pour moi ici de nier ou de refuter ce désir tout à fait légitime et normal de vouloir avoir sa propre monnaie mais surtout de montrer que dans l’état actuel des choses, les leviers pouvant nous aider à arriver à un tel résultat sont tout simplement absents. On remarquera aussi que très peu de personnes favorables à la sortie du FCFA ne proposent ou n’ont proposé des plans stratégiques économiques sérieux à court, moyen et long terme sur lesquels ils pourraient s’appuyer. Avec de belles intentions on peut certes déplacer des montagnes mais le domaine de la « real politique » fonctionne différemment.

Beaucoup de concepts sont confondus ou mélangés et à la fin il est pratiquement impossible de s’y retrouver. L’économie, la comptabilité ou la finance sont des disciplines bien distinctes. Pas qu’elles n’ont rien à voir les unes avec les autres mais il faudrait arriver à les agencer de telle manière à ce qu’à la fin le peuple comprenne de quoi il est question.

L’économie est un rapport de force permanent entre la Finance et le monde de la Politique.

Dès lors qu’on sort de cette vision de rapport de force, on transforme de fait une réalité qui résulte d’un bras de fer en quelque chose qui serait finalement indépendante de l’action humaine et qui nous serait pratiquement imposée. C’est à dire qu’on transforme en « scientificité » quelque chose qui n’en n’est pas. Autrement dit si dans un pays où la classe dirigeante est à la traine et le bilan économique catastrophique, celle-ci se justifiera en prenant pour responsable les mauvais résultats de la croissance et de la baisse de l’activité. Ceci pourrait cependant être réglé par une décision politique qui consisterait par exemple à changer de modèle de production et à investir dans les secteurs d’avenir. Cet exemple nous montre bien comment on peut arriver à changer les choses pour peu qu’à la tête de l’état on ait des dirigeants qui ont une vision, une feuille de route.

« Il ne faut surtout pas en parler, nous seuls avons le droit de nous enrichir. Après tout une monnaie n’est finalement qu’un moyen d’échange. Par conséquent le FCFA est bon quand il nous engraisse et cesse de l’être quand on le décide. »

Pathétique me diriez-vous, mais c’est exactement de cette manière que le sujet est perçu par un certain nombre de compatriotes. Pour parler de monnaie, rappelons que :

« Une monnaie n’a de valeur que si elle est évaluée par rapport à un référent matériel, or ou argent. Dès lors qu’elle est coupée de son référent ou de toute unité de mesure comparable, elle peut très rapidement atteindre des valeurs exponentielles folles et absurdes. »

La question qui me vient subitement à l’esprit est donc de savoir à cet instant sur quoi allons-nous référencer notre monnaie ? L’or, l’argent, le pétrole, les exportations ? Je n’envoie aucun. Même si nous disposons d’or ou d’argent, ceux-ci n’étant pas en notre possession, il faudra donc en faire la demande et espérer qu’on nous les rende dans leur quantité originale. Quand on sait par exemple que le président Nicolas Sarkozy a plusieurs fois vendu l’or français sur les marchés financiers pour telle ou telle raison, j’ai bien peur qu’on ne rentre jamais en possession de nos stocks s’ils n’ont jamais existé.

Un autre exemple intéressant pourrait être le cas de l’Allemagne, pays qui entama le retrait de son or stocké aux USA en France et à Londres il y’a 3 ans mais qui à ce jour n’en a reçu qu’un total de près de 51%. On se rends bien compte que même si l’or demeure pour les états une valeur refuge de sûreté économique, il n’est pas toujours facile de l’avoir, de l’acheter ou de rentrer en possession de ses stocks souverains.

Il serait enfin important de rappeler que le capitalisme dans sa forme actuelle, c’est à dire un capitalisme financier hautement spéculatif et destructeur de richesse a tenu à mettre en place différents mécanismes pour faciliter son hégémonie. C’est ainsi qu’a été créé le Foreign Exchange abrégé Forex, qui est le marché des changes. Un marché dans lequel des investisseurs peuvent acheter et vendre des devises de manière à faire monter ou baisser artificiellement leur valeur.

On comprend ainsi qu’il ne suffira donc pas seulement d’avoir sa propre monnaie mais que celle-ci puisse en outre être une valeur d’échange sûre garanti par des leviers économiques stables. Sinon nous risquons de nous retrouver dans la situation du Venezuela sous le règne de Hugo Chavez. Pays qui je rappelle contrairement au Cameroun possède « les plus grandes réserves de pétrole brut prouvées au monde » et qui détient sa propre monnaie. Malgré cet état de chose, s’il y’a un point sur lequel Hugo Chavez a échoué c’est sur le plan économique à long terme. Car malgré toutes les politiques d’éradication de l’extrême pauvreté et du partage de l’immense richesse pétrolière, il n’est pas arrivé en 15 ans à rapidement et efficacement diversifier son économie de telle manière à pouvoir éviter des dévaluations forcées du fait de la baisse de la valeur de sa monnaie sur le Forex. Attaque économique ciblée et bien orchestrée par ses détracteurs qui lui reprochaient de vouloir nationaliser le pétrole et de changer ses alliances stratégiques.

Attaque que pourra donc très bien subir de la même manière le Cameroun s’il ne possède pas d’autres leviers de stabilité économique.

Ne disposant malheureusement pas de leviers d’affaissement tel qu’une industrie stable et diversifiée, un PIB par habitant élevé, une classe moyenne avérée et existante, un haut niveau de formation de nos ingénieurs, des exportations de nos productions, une balance commerciale extérieure excédante etc.

La question de la sortie du FCFA restera une utopie ou au mieux une discussion de salon dans laquelle des experts restent campés sur leur position.

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